Accro à la sophro

Accro à la sophro

Les collègues de bureau qui ne sont pas dans la confidence n’ont jamais osé me poser la question. Ils doivent pourtant se demander pourquoi je m’isole une fois par semaine dans une petite salle de réunion avec une jeune femme blonde quand la plupart d’entre eux partent ou reviennent de leur pause déjeuner. Ils doivent aussi se demander pourquoi nous restons dans l’obscurité ? Pourquoi s’échappe de la salle une petite musique planante ? Pourquoi je reste assis sur une chaise, les yeux fermés, sans rien dire ? Pourquoi je pousse de temps en temps de grands soupirs ? Beaucoup de questions mais une seule réponse, en rien inavouable : je me suis mis à la “sophro”, comprendre la sophrologie.

La première fois que j’ai entendu le mot “sophrologie”, c’était dans la bouche d’une sage-femme, lors d’un cours de préparation à un accouchement “en douceur”. Vu les cris de ma compagne, malgré la péridurale, lors de la naissance de notre fille, je restai un peu dubitatif sur ses effets apaisants. La deuxième personne qui m’a parlé de sophro, quelques années plus tard, c’est Yannick Noah : “La sophro a changé ma vie.” Venant de la personne certainement la plus zen que je connaisse, la confidence méritait que je reconsidère sérieusement la question. Après avoir essayé en vain la piscine (“Sport & forme ” du 24 septembre 2011) entre midi et deux puis la marche afghane (“Sport & forme” du 31 mars 2012) entre le métro et le journal, je tenais peut-être enfin la solution à mes problèmes de stress.

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Encore fallait-il que je trouve un bon sophrologue. Comme le supplément “Sport & forme” est décidément plein de ressources, Jean-Philippe Acensi, le patron de l’Agence pour l’éducation par le sport (notre partenaire de la page de gauche), lui-même un accro à la sophro, m’oriente vers l’une des meilleures spécialistes : Sylvia Schmitt Dimicoli, diplômée d’un master en sophrologie caycédienne (la vraie) auprès de la fille de son fondateur, Alfonso Caycedo, qui n’est pas un chanteur brésilien mais un neuropsychiatre colombien.

“J’ACCUEILLE LES SENSATIONS DE BIEN-ÊTRE”

Et c’est comme ça que depuis la rentrée je m’enferme chaque jeudi, après le bouclage du cahier “Sport & forme “, avec une jeune femme blonde, pour un voyage intérieur d’une vingtaine de minutes. “Je prends conscience de la forme de tout mon corps en train de se relâcher, de se détendre. Avec ma respiration calme et tranquille, j’accueille les sensations de bien-être.” Assis sur ma chaise, yeux fermés, mains sur les genoux, je me laisse guider par la voix claire de Sylvia, qui possède un autre point commun avec Yannick Noah : la chanson. “Je me concentre sur mon visage, détendu, sur mon cou, mes épaules. Mes bras, mes mains, jusqu’au bout des doigts, se relâchent.” Et, effectivement, je sens la peau de mon visage se détendre. Pour quelqu’un qui a du mal à “lâcher prise”, je suis surpris de cette entrée en matière plutôt réussie. “J’accueille toutes les sensations de bien-être et je me concentre sur l’énergie, cette force à me concentrer à l’intérieur de mon corps. Je dépose tout ce qui m’ennuie à l’extérieur.” J’ai l’impression de m’affaisser sur ma chaise, je bâille, j’ai envie de dormir. Mais attention, la sophrologie n’est pas l’hypnose. “Je vais, comme j’ai l’habitude de le faire maintenant, libérer le négatif, libérer les tensions, tout ce qui me dérange dans ma vie. Je vais souffler pour vider mes poumons. Inspiration, rétention de l’air. Tension de tout le corps. Lecture du négatif derrière mes yeux et simplement, lorsque je ne peux plus, je relâche et j’envoie le négatif très loin.”

Je contracte tout ce que je peux, mes cuisses, mes pectoraux, je serre mes poings, mes paupières et retiens mon souffle, longtemps, très longtemps. Je pourrais battre le record du monde d’apnée sur une chaise de bureau. Puis je souffle, comme si je devais éteindre un gâteau avec 200 bougies. Je répète ce “sophro-déplacement du négatif” deux fois en portant mes mains sur mon front puis mon ventre.

“Je relâche tous les muscles. Je suis juste à l’écoute de mon silence intérieur.” C’est à ce moment-là que Sylvia actionne sa petite musique planante. “Avec toute mon énergie, je me concentre sur ici et maintenant.” C’est à ce moment-là que mon portable se met à vibrer sur la table. “Si des bruits extérieurs ou des pensées viennent à polluer mon mental, je souffle et je les laisse passer comme un nuage dans le ciel.” Ce n’est déjà pas facile pour moi de débrancher mon portable, alors mon cerveau… J’essaie de repousser comme je peux les idées d’articles à finir, de personnes à rappeler, de réunion qui commence dans une demi-heure qui reviennent au galop.

“SENSATIONS DE CHALEUR, DE BIEN-ÊTRE, DE LUMIÈRE”

” J’inspire et, à l’expire, je diffuse cette énergie au niveau de mon cerveau. J’inspire et j’envoie cette énergie au niveau de mes cordes vocales, de mon cou, de mes épaules, de mes bras, de mon coeur, de mes poumons… Avec ma respiration calme et tranquille, j’envoie cette énergie réparatrice afin d’harmoniser mes organes et de permettre à mes cellules de fonctionner en toute quiétude, libérées des tensions. J’essaie de percevoir les sensations de chaleur, de bien-être, de lumière.” Pas de chaleur ni de lumière, mais l’impression que mon corps bat comme les ailes d’un oiseau au rythme de mon coeur.

“Je laisse venir les images, heureux enfin d’avoir pu me libérer. J’accueille tous les phénomènes qui émergent de cette relation entre mon corps et mon esprit dans la confiance de pouvoir améliorer mon quotidien.” Sur l’écran de mes yeux fermés défilent les séquences d’un film étrange : des formes psychédéliques se succèdent, je progresse dans une espèce de grotte à la vitesse de la musique puis des plantes, des feuilles poussent un peu partout. Le vert domine. Le bout du tunnel ? ” Tranquillement, je vais essayer d’évoquer mes capacités, la force intérieure, comme si mon médecin intérieur se réveillait et se mettait en action. Et surtout sans oublier d’exprimer à mon corps et à mon esprit que je sais d’où viennent ces petits problèmes et qu’ils n’ont plus besoin de se manifester car j’ai compris ce que je devais faire.” Mes petits problèmes – de stress – se manifestent depuis quelques mois par un sommeil que perturbe un cerveau en ébullition.

“Puis je ferai deux trois respirations profondes pour revenir ici et maintenant. Je prends tout mon temps. Et, comme j’ai l’habitude de le faire, je peux tout doucement commencer à bouger les pieds, bâiller, m’étirer. Je peux également, si je fais cette séance en soirée, décider de m’endormir. Et, seulement lorsque je serai prêt, je pourrai ouvrir les yeux.”

J’aurais bien opté pour la deuxième solution – que je mets parfois en pratique lorsque je m’exerce dans mon lit avec l’enregistrement de la séance -, mais je ne dors pas – encore – sur mon lieu de travail. Et, surtout, la séance n’est pas tout à fait terminée. Place à la “phénodescription” : après chaque voyage intérieur, Sylvia consigne mes “vivances”. Et, si j’en crois ma sophrologue, je suis plutôt vivant en termes de vivances : “Dès les débuts, tu as accueilli beaucoup d’images, ce qui n’est pas le cas de tout le monde.” Ce qui fait dire à Sylvia : “La sophrologie, c’est pour toi.” OK, mais, pour le sommeil, ce n’est pas encore la grande harmonie. ” La sophrologie, c’est un art de vivre. Noah, avant de réussir ses revers, il s’est entraîné. Eh bien pour la sophrologie, c’est pareil. ” Au filet, je n’ai jamais nourri l’espoir de rivaliser avec l’ancien vainqueur de Roland-Garros. En sophro, si je redouble d’efforts, j’ai encore une petite chance d’approcher son niveau de zénitude.

Stéphane Mandard
Le Monde

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